Lire
aussi Patmos
et autres poèmes (de Lorand Gaspar) ou soutenir l´insoutenable
de Serge Meitinger
un extrait d´une lettre
de Lorand Gaspar
d´autres photographies
de Lorand Gaspar lors d´un colloque à Cerisy en août 1994
Liens:
Indications
biographiques
Cette page a été réalisée
avec des documents fournis par Serge Meitinger, que je remercie
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Lorand Gaspar à Cerisy
Photographie de Serge Meitinger
UN EXERCICE SALUTAIRE
par Lorand Gaspar
Réponse à une question de Daniel Leuwers.
De quelle façon et quand éprouvez-vous ou avez-vous éprouvé le désir de
poésie ? Vocation, coup de foudre ? Frôlement passager ? Sollicitation
dérangeante ?
Très tôt, quelque part au sortir de lenfance, lécriture mest
apparue un exercice salutaire, une sorte de conversation avec moi-même, avec ceux qui
mentouraient (et ne me donnaient pas souvent
la parole), avec la nature environnante. Jai vite compris quelle pouvait
mêtre un compagnon toujours présent, aussi longtemps que ma nature ou mon désir
de vivre, autrement dit mon désir de sentir, dagir et de comprendre pouvait
mêtre présent. Lécriture me permettait souvent de voir plus clair dans ce
qui marrivait, dans ce que je faisais, sentais et pensais. Jai cru comprendre
que donner/proposer des noms, des mots, des formes capables de nous renvoyer aux
réalités accessibles à nos sens, à nos pensées (faisant partie de la même
réalité), était ou pouvait
être une première approche vers la lisibilité et la visibilité dun ensemble plus
ou moins complexe, enchevêtré, voire confus, obs-cur et par là perçu comme menaçant ;
inquiétant. Lélaboration
dune figure, dune construction porteuses de sens, dune lumière
relative, métait en soi un apaisement. Cet effort qui consistait en quelque sorte
à nettoyer les éléments dun poids obscur, dune menace ou dune
excitation confuses, et de les assembler en une figure assez claire pour vivre, pour
souvrir à une continuité dans
la vision et dans le questionnement.
Cette façon de ressentir lécriture et den user ma conduit un peu plus
tard vers la poésie, mais aussi vers la médecine et la philosophie.
Pourquoi la poésie ? Elle semble avoir jailli spontanément sinon par génération
spontanée , comme si elle avait obéi à la lente maturation dun mouvement
instinctif. Le goût de la lecture
de la poésie, de certains poètes (hongrois, allemands et français) sest
manifesté à la même époque, peut-être un peu avant, me semble appartenir à la même
maturation, au même besoin. Des causes dites extérieures ont sans aucun doute corroboré
à léclosion spécifique dun besoin de poésie à lintérieur du besoin
décrire. Il en est ainsi dune rencontre qui reste profondément
gravé dans mon souvenir : mon professeur de français, le même durant sept de mes huit
années détudes secondaires, était un lecteur passionné de Baudelaire et de
Rimbaud, passion quil avait essayé de nous communiquer.
En fait je ne me suis jamais mis à écrire avec lidée, le désir
décrire un poème, mais presque toujours en me disant dans une sorte
détat durgence : Voyons un peu ce qui se passe dans ce noyau survolté,
étincelant et obscur ; à dautres moments submergé, immobilisé par
lépaisseur de la nuit, ou encore subjugué par le silence. La poésie est
souvent une recherche, une aventure
aussi lente, aussi difficile que les fouilles dun site archéologique, la
découverte dune terre neuve. Et elle na pas de terme. Ce qui ma
toujours incité à chercher, à me remettre en route et continue à le faire, cest
le désir dy voir plus clair, cest lurgence de trouver un passage, une
lueur, un dénouement, une ouverture./color>
Texte paru dans
Poésie/première, numéro 19
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POÈMES
DÉTÉ À SIDI-BOU-SAÏD
à Roger et Patricia Little
Ecriture
ample, dun seul trait qui démontre sa source
et son élan martinets
se
dépliant par dimmenses caresses, épousant les pleins,
les creux et les failles du corps
invisible des vents.
Tant
de tiges qui sélancent, se plient et se déplient, se
cassent sans se rompre, dun même
mouvoir en lui-même enraciné,
mouvoir,
telle une pensée lisible un instant sans mot et
sans trace
coulé
dans la pleine jouissance de son être indivis
tout
un ciel dafflux de sèves, de rumeurs déclosion
ô
certitude dêtre ici sans reste exprimé dans son faire !
Plongées
et rejaillissement souples, toujours légers,
infiniment légers,
torsades
et dislocations tracées avec la même assurance
fluide,
comme
si le mouvement de la vie, sa trajectoire
incalculable se dépliaient
dans
la substance même dune infrangible unité
Le
gracieux don de bâtir ces hautes voûtes éphémères
où résonne
mêlé
aux brefs appels pointus le bonheur du regard
dhabiter
ces
traits qui volent et dessinent leurs arcs innombrables
lumière sur lumière
Cest
la seule écriture que tu puisses lire aujourdhui.
Comme
si ta rétine et les neurones gris où sélaborent
et
se dissolvent ces dessins purs dun seul élan tracés
(dans
le bruissement discret de courants et de chimies)
comme
si les pins fins rameaux de ton souffle et de ton
sang
tout
ce que ton esprit croit comprendre et ignore,
les
espaces et une pensée infiniment ouverts
étaient
fondus dans le même déploiement
en
cette musique où chaque note est un cur
au
rythme, harmoniques et timbre singuliers
Sois
tolérant pour tes failles et faiblesses,
accueille
le silence dans les mots qui saccroît
tout
comme le dépouillement des vieux jours
rappelle-toi
ce que tu as perçu dinvisible au désert
la
brise du petit matin cueille en passant
lodeur des genêts et soulève le rideau
Poème extrait de Patmos, Gallimard, 2001
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